Avec son
flegme légendaire qui frise parfois l’amorphie,
Doc Gynéco est une des artistes les plus politiquement correct
de la scène rap française. Loin des frasques retentissantes
de Joey Star (NTM), loin des propos engagés et contestataires des
IAM ou autres Fonky Family,
le jeune rappeur joue dans un autre registre : celui de la sensualité (voire de la sexualité), de la
séduction, et de l’humour. Un rôle qui lui va à ravir
et qui lui apporte longtemps notoriété et respect du public.
Bruno Beausire naît le 7 juillet 1974 à Clichy-sous-Bois,
près de Paris, de parents guadeloupéens. Après une
scolarité chaotique, il entame des études de comptabilité.
Lorsqu’il a seize ans, son père quitte le domicile familial,
laissant Bruno seul avec sa mère. De cette épreuve, il
garde une grande complicité avec celle-ci et une sensibilité non
feinte. Le jeune homme et sa mère, assistante sociale, s’installent
alors dans le 18ème arrondissement de Paris, quartier de La Chapelle.
C’est là finalement que se jouera son destin. Livré à lui-même,
il est d’abord tenté par la rue et ses mauvaises fréquentations.
Mais il n’a pas l’âme d’un voyou, ni le physique...
Plutôt attiré par les filles, il a dès le lycée
une réputation de tombeur qui lui vaut les surnoms de « langue
de velours » puis de « Doc Gynéco ».
Mais Bruno ne se
contente pas de séduire. Son truc à lui,
c’est l’écriture et surtout la chanson. Pas le rap
de banlieue pur et dur, mais les grands auteurs comme Aznavour, Ferrat,
Renaud, Souchon ou Gainsbourg. Ce dernier, joueur de mots et grand compositeur
inspirera tout autant un certain MC Solaar. C’est pourtant au sein
d’une formation de banlieue que Doc Gyneco enregistre son premier
titre en 1993. Autopsie paraît alors sur l’album 95200 du
Ministère Amer (dont Stomy Bugsy et Passi font aussi partie).
Ce titre se démarque des autres compositions de l’album
et donne envie au jeune homme de se lancer seul. Il ne lui manque ni
le talent, ni la gouaille. Pour sortir du lot, il n’hésite
pas à tenir des propos intelligents certes mais accusateurs. Il
dénonce ainsi les « grandes gueules » du rap français,
gangsters en herbe et porteur de violence et de haine. A la manière
de son aîné Mc Solaar, Doc Gynéco veut prouver que
le rap sait être autre chose qu’une musique de voyou. Ses
propos lui vaudront l’animosité de nombre de ses anciens
camarades, mais n’entameront en rien son impassibilité.
Première consultation, son premier album enregistré aux
Etats-Unis, sort chez Virgin en 1995 et s’impose d’emblée
par son rythme syncopé et lent, entre biguine (il est fan de Kassav),
groove, funk et rap. Un son nouveau pour un artiste nouveau. 700 000
exemplaires se vendent comme des petits pains et l’opus devient
disque de Platine. Le public et la profession plébiscitent Doc
Gyneco pour ses allures sympathiques et calmes, et pour ses textes sensuels
(voire coquins) et poético-humoristiques. Ses apparitions télé sont
autant de moments de bonheur : toujours prompt à saisir la phrase
au bond, le rappeur se révèle un fin interlocuteur malgré ses
provocations. Les « anciens » sont aussi séduits par
Doc et on le retrouve en compagnie des Rita
Mitsouko ou en concert avec
Julien Clerc, en apparence très opposé à son style.
Mais
le jeune homme ne tardera pas à s’attirer les foudres des médias
par certaines de ses bravades , comme lorsqu’il enregistre
en octobre 1997 C’est beau la vie avec Bernard Tapie, ancien
homme d’affaires touche-à-tout et plusieurs fois condamné.
Sa sympathie déclarée pour les drogues douces, les
rancœurs du milieu du rap, sa façon de traiter de sujets
délicats (le suicide dans Nirvana) ou de parler des femmes
(son single Ma salope à moi fait bondir à juste titre les mouvements féministes),
poussent Doc Gyneco sur la corde raide. Il ne suffit pas de faire
parler de soi. Encore faut-il avoir le talent nécessaire
pour durer. Son deuxième album Les liaisons dangereuses sort fin 1998 et ne rencontre d’ailleurs pas le succès
escompté. Relation de cause à effet ?
Mais Bruno n’est pas prêt de s’avouer vaincu. Il enregistre
Quality Street en 2001 puis Solitaire en septembre 2002, deux albums
mûrs pour lesquels le rappeur s’est entouré de la
fine fleur de la chanson contemporaine : Laurent
Voulzy, M aux guitares,
Tonton David, Catherine
Ringer, Renaud, Stomy
Bugsy ou Chiara Mastroianni
aux chœurs. Solitaire lui permet d’obtenir une Victoire de
la Musique et relance définitivement la carrière du chanteur.
Il multiplie les passages télé, toujours légers
(Nice People, On ne peut pas plaire à tout le monde, Les enfants
de la télé, Laure de vérité,...), s’assurant
la sympathie du public. Un album Best of vient rappeler la déjà longue carrière du chanteur et les nombreux tubes (Viens voir le docteur, Nirvana,...).
Alors
qu'il vit une histoire d'amour extra-conjugale avec l'écrivaine
Christine
Angot, l'artiste laisse planer volontairement un doute sur sa vie
privée. Il avoue être marié depuis le début des années 2000, ce qui ne
l'empêche pas de vivre quelques aventures publiques. Puis sa carrière
subit quelques ralentissements lorsqu'il s'engage en
2007 auprès du candidat de droite Nicolas Sarkozy. Ses apparitions à
ses côtés et son livre publié la même année lui attirent la colère du
milieu et d'une partie de la jeunesse. Malgré cela, Doc Gynéco ne
renonce pas et sort fin 2008 Peace Maker,
album produit par... Pierre Sarkozy, un des fils de Nicolas. Le
chanteur traverse alors une longue période de vaches maigres. Contrôle
fiscal, manque d'inspiration, désert médiatique,.... Il faut attendre
2016 pour que le Doc refasse parler de lui à l'occasion des vingt ans de Première consultation et de quelques concerts. Mais son nouvel opus original ne sort qu'en 2018. Son nom, 1000 %.
Ce père de trois enfants (Jerusalem-Alda, Jeanne
et Bruno) reste fidèle à son image (à défaut de l'être à son épouse). Celle d'un homme qui a réussi à se débarrasser
définitivement de son image de rappeur de banlieue, et qui a opté pour une vie bourgeoise assumée.
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