Libre et insaisissable, l'auvergnat Jean-Louis Murat n'obéira
jamais aux lois du monde artistique. Sous ses faux airs d'homme dégrossi
et rustre, il cache une sensibilité à fleur de peau et
un style d'écriture raffiné et poétique. En d'autres
temps et en d'autres lieux, Murat rimerait volontiers
avec Rimbaud tant leurs regards délavés et rêveurs
se ressemblent, tant leurs énergies rebelles se confondent et
enfantent d'un verbe intelligent et varié. De son premier album
éponyme en 1981 à A bird on a poire , en passant par Mustango ou Le Moujik et sa femme, Murat a promené
son chant plaintif sans se soucier des modes. Son parcours atypique
n'a jamais répondu qu'aux impératifs d'honnêteté et
de quête artistique. C'est justement ce qui séduit un public
fidèle, charmé par son image de troubadour solitaire attaché
à sa terre natale.
Terre d'Auvergne
L'histoire de Jean-Louis Bergheaud, dit Murat, commence dans le Massif
Central, terre de contrastes, plaines et volcans mêlés.
Plus exactement à La Bourboule, le 28 janvier 1952. Mais c'est
à Murat-le-Quaire, chez ses grands-parents, que ce fils de divorcés
passe son enfance. Du village de Murat, Jean-Louis hérite de
son nom de scène et d'une passion jamais démentie pour
la campagne et ses habitants. D'où l'image d'ermite et de misanthrope
qui lui colle depuis toujours à la peau. Assurément le
jeune auvergnat se démarque des autres par son caractère
solitaire et introverti. Grand amateur de poésie et de musique,
Jean-Louis apprend de nombreux instruments au Conservatoire et développe
son goût pour le chant. Cet amour de l'art le pousse à
fuir sa terre natale au sein de laquelle son destin était tout
tracé : la ferme familiale ou le métier de menuisier de
son père. Mais il est trop tôt pour s'enterrer. Jean-Louis
passe son bac à 17 ans, se marie, s'inscrit à l'université,
puis, jeune papa, quitte tout pour voyager. Jusqu'en 1977, il parcourt
la France et l'Europe, vivotant de petits métiers, et forgeant
en lui l'architecture de son art : solitude et voyage, à la manière
d'un Kerouac ; poésie et musique ; indépendance et liberté.
Autant de valeurs essentielles auxquelles le chanteur restera toujours
fidèle.
Premières expériences musicales
Sans perdre de vue ses premières amours musicales, Bergheaud-Murat
cultive régulièrement l'écriture jusqu'au jour
où il franchit définitivement le pas. Il retourne au pays
en 1977 et fonde le groupe Clara rapidement remarqué par William
Sheller. Ce dernier, adepte des contrastes et lui aussi musicien
solitaire, est séduit par le personnage du jeune homme et lui
permet d'enregistrer seul, en 1981, son premier 45 tours. Mais en pleine
période Rock (Téléphone,
Trust,…), le style de Murat ne trouve pas preneur. Bercée
par des textes romantiques et mélancoliques, sa musique ne cède
à aucune influence de mode. Pendant des années, les ventes
resteront quasiment nulles. Ni son premier mini-album Murat en
1982, ni son premier album Passions privées en 1984 ne
feront du chanteur une star. Il faut dire qu'il cultive avec rigueur
la solitude, l'originalité et l'indépendance. Rien qui
ne permette réellement de " percer " et sa maison de
disque, impatiente, rompt son contrat.
La renaissance
Jusqu'en cette année 1987. Après trois ans de remise
en cause, Jean-Louis Murat saisit l'opportunité d'enregistrer
chez Virgin Si je devais manquer de toi. Ce 45 tours est un énorme
succès qui propulse sur le devant de la scène ce chanteur
qui n'en est pourtant pas à ses débuts. Peu à peu,
Murat séduit un public grandissant. Cheyenne Autumn, Murat
en plein air, ses apparitions télévisées ou
cinématographiques, tout est destiné à montrer
de l'Auvergnat une face attachante et singulière. Il se présente
en effet comme un artiste hors-norme, fidèle à ses origines
paysannes et grand amateur de poésie et d'art. Ses clips en sont
l'illustration, comme celui de Regrets, enregistré en
Hongrie avec la chanteuse Mylène Farmer. S'il enchaîne
disques, cinéma (il apparaît dans Mademoiselle Personne
de Pascale Bailly et dans un film de Jacques Doillon La vengeance d'une femme), et tournées
(celle de 1993 dure presque un an et se termine par trois jours exceptionnels
à Paris), Murat cultive cependant la discrétion et reste
économe des médias. Cette solitude toute relative est
nécessaire à la recherche musicale engagée par
le chanteur. Chaque opus se colore d'un style nouveau (acoustique, jungle,
électronique, classique, pop,…) et se fait l'écho
de la sensibilité de l'auvergnat, qui s'applique à ne
jamais tomber dans la routine. Cet éclectisme culturel est aussi
à l'origine de son absence en tête des hits-parades. Tout
en séduisant un large public, Murat n'en reste pas moins en marge
des courants musicaux contemporains…
D'hier et d'aujourd'hui
…en marge et pourtant intégré à notre époque,
comme lorsqu'il prend position contre les injustices ou crée
un site Internet à son image : cultivé et hétéroclite.
Mustango sort en 1999 et marque un changement dans la création
de l'artiste. Plus " violent " dans les thèmes abordés,
plus agressif dans sa musique (à l'image de notre époque
tourmentée), l'album s'inscrit dans la lignée du Moujik
et sa femme en 2002 : textes intelligents et ironiques, musique
recherchée et profonde. Une harmonie rarement atteinte dans le
milieu de la chanson contemporaine. Murat ne renonce jamais à
son inventivité, comme le prouve la sortie de Mme Deshoulières,
poèmes du XVIIème siècle mis en musique par lui-même et dits par la
comédienne Isabelle Huppert. Un disque surprenant, mais l'hommage aux
poètes ne s'arrête pas là et Murat sort en 2005 l'album 1829, sur des textes de béranger, ainsi que Charles et Léo
en 2007 (poèmes de Baudelaire). A l'instar d'un Ferré ou d'un Ferrat,
l'auvergnat mêle avec aisance et sensibilité poésie et chanson, faisant
la nique à Gainsbourg et son "art mineur".
Une grande gueule
Mais son talent fût souvent éclipsé par son
caractère trempé et ses assages télé ou radio durant lesquels il
donnait, sans filtre, quelques phrases acides, n'épargnant au passage
ni ses contemporains, ni les chanteurs français à la mode, comme
Goldman ou Zaz. S'attaquer aux artistes populaires lui vaut longtemps
l'animosité d'une partie de la profession, de laquelle Murat se sent en
retour exclu. "On me reproche de faire trop de disques, de parler fort,
de dire n’importe quoi… Pour moi, tout ça, ce sont des effets
secondaires de la virilité. Moi, j’aime la corrida, le vin rouge, la
virilité, le machisme" revendique-t-il dans une entrevue. Tout est dit,
mais rien ne l'empêche de continuer à écrire, enregistrer et tourner
devant le public. Malgré une censure dont il s'estime victime de la
part des médias et des grands groupes de l'industrie de la musique, le
public lui reste fidèle. Alors que paraît le 26 mai 2023 la première
compilation de son oeuvre (1981-2021), on apprend avec stupeur sa
disparition le 25 mai, à l'âge de 71 ans, d'un arrêt cardiaque, dans sa maison d'Orcival. Plus question de polémiques,
les témoignages sont unanimes pour rendre hommage à Murat, qualifié de
poète provocateur, de génie, de musicien hors-norme. Nul doute que ces
témoignages soudain auraient fait sourire l'homme... ou l'auraient fait
enrager.
En quarante ans de carrière, Jean-Louis
Murat a réussi le pari insensé d'être reconnu en
tant qu'auteur compositeur interprète sans jamais tomber dans
la spirale des médias. Très attaché à sa
terre natale et au monde paysan, Murat n'en était pas moins un créateur
extrêmement moderne et inventif. Fidèle à son image
d'ermite romantique, et à sa volonté de surprendre, il
est resté, à l'instar d'un autre artiste secret, Manset,
un des créateurs les plus novateurs de la chanson francophone.
août 2004- mai 2023
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