Musicien
de génie et personnage généreux et discret, William Sheller a fait de
sa double personnalité son point fort. Américain de sang et français de
cœur, musicien classique et rockeur hors-pair, artiste international et
confidentiel à la fois,…. Ce mélomane a laissé derrière lui une œuvre
superbe et originale. Entre violons et guitares, Sheller marque à sa
façon si singulière le paysage musical francophone.
Paris à la Libération.
Pour
le petit William, né le 9 juillet 1946 dans le dix-septième
arrondissement de Paris, tout commence par un formidable mélange de
culture. Son père (ou du moins celui qu'il pense être son père), Jack
Hand, est un
soldat américain tombé amoureux de
la France…et d’une certaine Paulette Desboeuf pendant la fin de la
deuxième guerre mondiale. Musicien de Jazz chevronné et grand amateur
de musique, Jack inculque à
son fils unique l’amour du rythme et de la musique. Cependant, avec
Paulette, ils partent en Belgique ouvrir un club de Jazz, et le petit
William est placé chez sa grand-mère, puis en pension à la campagne,
mais il y déprime et n'y reste que quelques mois. Puis Dad et Paulette
récupèrent l'enfant pour l'amener avec eux dans le pays d'origine de
Jack. De 1949 à 1953, la
famille Hand retourne vivre aux Etats- Unis, dans l’Ohio, où le petit
William assiste aux prestations scéniques de son père. Mais Paulette
refuse d'épouser Jack et doit se contenter d'un visa de tourisme qui
finit par expirer. C’est le
retour à Paris, William retourne chez sagrand-mère et le jeune enfant
voit naître peu à peu sa passion
pour le théâtre et la musique classique.
Fortement influencé par ses grands-parents (sa grand-mère travaille au
Théâtre des Champs Elysées, et son grand-père est décorateur), William
apprend le piano dès l’âge de dix ans. Il devient un élève assidu et
doué. Après des années de cours pour lesquels il abandonne l’école à
seize ans, il découvre la déferlante Beatles au début des années 60. Le
voilà tiraillé entre sa formation classique et la folie du Rock and
Roll.
Noir ou Blanc….
Rapidement,
le choix est fait. Adieu le conservatoire, bonjour les Worst, son premier groupe aux
accents anglophones. A vingt ans, William est déjà très sollicité. Son
talent de compositeur et sa connaissance parfaite de la musique font de
lui un artiste convoité, notamment grâce au succès phénoménal de My year is a day, qu’il écrit pour
les Irresistibles en
1968. La même année, prenant pour nom de scène Sheller (un subtil
équilibre entre Schiller et Shelley), il enregistre, en tant
qu’interprète, Couleurs, son
premier 45 tours, co-écrit avec un autre débutant de grand talent : Gérard Manset. Plus attiré par
l’écriture que par l’interprétation, son premier album en 1970 ne sera
qu’instrumental (Lux Aeterna).
C'est à cette époque qu'il rencontre Marianne avec laquelle il aura deux enfants, Johanna en 1971 et Siegfried en 1972. Il faut attendre cinq ans et une rencontre exceptionnelle avec Barbara (pour laquelle il
écrit) avant que William Sheller se décide à enregistrer une véritable
chanson. Ce sera Rock’n Roll Dollars,
son premier tube.
Succès.
Très
vite, l’expérience musicale et littéraire du chanteur lui permettent de
vendre beaucoup d’albums, portés par des standards tels que Le carnet à spirale, Dans un vieux
rock’n’roll, ou J’suis pas
bien. Sa musique, bien que commerciale et dansante, apporte
cependant un vent nouveau dans le paysage musical français. Avec des
textes poétiques et des musiques d’une grande maîtrise technique,
Sheller devient le « symphoman » de la chanson, du nom de son troisième
album en 1977. De musique de films (Erotissimo,
Retour en force,…) en ballets, en passant par ses propres
enregistrements, le musicien est désormais une pointure. Il a la
particularité d’être autant respecté par le public pour ses succès, que
par la profession pour ses talents de compositeur et sa polyvalence (il
écrit notamment pour Barbara,
Philippe Chatel,
Nicoletta,
Dalida, ou Catherine Lara).
Mélancolie.
Côté
musique, on retient surtout de lui l’aspect mélancolique de ses
chansons, dont les textes et les mélodies ne sont pas sans évoquer le
mal-être adolescent (J’suis pas bien,
Une chanson noble et sentimentale, Nicolas, Maman est folle, Une
chanson qui te ressemblerait,…). A la manière du Jonasz des Vacances au bord de la mer, il
exprime une sensibilité à fleur de peau qui touche l’auditeur de 7 à 77
ans.
Un style musical qui fonctionne à merveille sur scène, où William se
plaît à apparaître dès les début des années 80. Il donne ainsi une
nouvelle dimension à sa musique, modifiant au gré des tournées
l’accompagnement sur scène (de l’orchestre symphonique au piano seul).
Il remplit ainsi les plus grandes salles : Bobino, Olympia, Palace, Bourges, Le Grand Rex…
Expériences musicales.
Déjà
ancré profondément dans la musique classique, Sheller entreprend, vers
le milieu des années 80, de créer de véritables œuvres originales. Cela
commence par son album Univers
en 1987, puis se prolonge avec le merveilleux Ailleurs en 1989, dont le packaging
fait aussi montre d’un grand talent artistique. Les deux albums font
grand bruit et détonnent dans cette fin des années 80 où émergent les
courants les plus disparates (rap, rock, pop, electro,…). Dans la
foulée, l’artiste rend hommage à Victor Hugo en mettant en scène, bien
avant la folie « Notre Dame de Paris », le spectacle Quasimodo, avec Nicoletta. Les
années 90 débutent par une moisson de succès. Sur scène tout d’abord,
où Sheller se plaît à jouer les trouble-fête, parfois seul, parfois
accompagné de 70 musiciens (dont son fils Siegfried, guitariste) ! Dans
les médias ensuite où ses disques sont récompensés par deux Victoires
de la Musique en 1992, ainsi que par l’Oscar de la Chanson Française !
C’est la consécration pour un chanteur hors-norme.
Changement de rythme.
Comme
pour mieux surprendre son public et ne pas tomber dans la routine, Albion, sorti en 1994, casse le
rythme classique imposé par l’artiste depuis de nombreuses années :
résolument rock, voire « metal », l’album joue la carte de la musique
anglo-saxonne. Si Sheller est moins présent à la fin de ce millénaire,
il n’en est pas pour autant inactif. Bien au contraire, insatiable
compositeur, il s’essaie à de nouvelles expériences pédagogiques et
musicales qui l’éloignent des studios, mais pas de la scène. Le
résultat : un album attendu en 2000, Les
machines absurdes, qui mélange allégrement les styles et les
instruments, mais avec toujours autant de beauté et de poésie.
La vérité.
Durant l'écriture de cet opus, en 1998, le chanteur,
qui s'occupe de sa mère malade et mourante, apprend enfin la vérité sur
son histoire et c'est un choc, qu'il raconte dans son autobiographie William.
Paulette lui apprend qu'il n'est pas le fils de Jack, mais d'un autre
soldat américain ayant quitté la France à sa naissance et qui n'a
jamais réussi à retrouver Paulette et son fils. Cet homme Colin Thomas
Mcleod, devient l'obsession de Sheller qui part à sa recherche. Il
finit par retrouver la veuve de son véritable père (décédé en 1989, il
a été marié et a eu deux enfants, les demi-frères et soeurs de Sheller)
et sa famille. Dès lors, l'existence, n'a plus la même couleur et
William renoue contact avec cette histoire familiale dont il a été
privé durant une grande partie de sa vie.
Musique classique.
Durant les années 2000, l'artiste travaille d'arrache-pied sur des
projets "classiques" en travaillant avec le quatuor Parisii ou
l'orchestre Ostinato, et en écrivant une syphonie pour le festival de
musique classique de Sully-sur-Loire. Ses enregistrements studio
portent la marque de ce travail. Il faut attendre la fin des années
2000 pour que Sheller revienne à une musique plus rock dont il a le
secret. Mais les années 2010 voient l'artiste se fatiguer. Un rythme de
créations élevé, des excès passés qui ont nui à sa santé, Sheller est
hospitalisé en 2014 et en sort amoindri. C'est un homme bouffi, affaibli, qui apparaît à la télévision lors des Victoires de la Musique 2016. Malgré
la poursuite de son travail, il perd le goût à sa vie d'artiste, fait
une dépression, doit annuler des concerts, et annonce finalement en
2021 la fin de sa carrière musicale. Stylus (2015) est son dernier album studio. De nombreux artistes lui rendent hommage en octobre 2023 avec l'album Simplement Sheller (Albin de la Simone, Calogero, Florent Marchet, Eddy de Pretto...).
Depuis
plus de cinquante ans, William Sheller promène son talent cosmopolite à
travers le monde. Auteur compositeur de génie, mais aussi interprète
discret et mélancolique, le chanteur est rentré dans le patrimoine
culturel francophone. Seul ou entouré d’un véritable orchestre, il met
en œuvre tout son talent pour donner à la musique ses lettres de
noblesse, tout en restant ouvert au plus large public. En somme,
intelligemment, patiemment, il sait éduquer nos sens.
SB 2002-2023
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