Note
: pour l'écriture de cette biographie, outre les sources citées en bas
de page, nous avons utilisé la série radiophonique A voix nue de France
Culture diffusée en 2022 sur les ondes (lien : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-jean-guidoni-sous-le-fard).
En marge des sentiers battus du show business,
Jean Guidoni nous fait voyager, depuis le milieu des années 1970, dans
un monde sombre où se cotoient prostituées, loubards et homosexuels.
Un univers proche du Querelle de Fassbinder, glauque et poètique
à la fois. Finement, il s'impose à nous comme un écorché vif, et ses prestations
scéniques remarquables laissent un goût profond de passion et de douleur.
Un homme de l'eau
Fils
de marin corse, Jean Guidoni voit le jour le 3 mai 1951 (la date de
1952 circule allégrement sur le net mais le chanteur confirme lui-même
sur France Culture qu'il est né en 1951) à Toulon, cours Lafayette. Son
enfance est plutôt pauvre. Le père, marin, est absent et joue le peu
d'argent qu'il gagne. Le petit garçon et son frère se nourrissent grâce
notamment à la nourriture que leur grand-mère ramène le soir du
restaurant où elle travaille. Jean est attiré par la danse et le
spectacle. Puis le foyer déménage à Marseille. Il arrête l'école très
tôt et ses parents divorcent. Très jeune, à l'adolescence, il prend
conscience de son homosexualité qu'il vit sereinement, malgré
l'animosité de sa famille ou du milieu. Il rentre en apprentissage dans
une école de coiffure en 1967 en gardant en tête le rêve de chanter.
Alors
qu'il débute dans un salon de coiffure à Marseille, où il fréquente les
quartiers chauds de la ville, avec son lot de voyous et de prostituées,
Jean se lance dans la chanson et rejoint Paris au début des années 70.
Fortement marqué par sa jeunesse sombre, il a du mal à soigner ses
angoisses. Par l'intermédiaire d'une cliente du salon de la rue Ordener, il propose une bande-son
aux éditions Michel Legrand qui l'embauchent.
Son premier 45 tours, La leçon d'amour, en 1975, passe
inaperçu. Il lui permet cependant de mettre un pied dans l'aventure Paris
Populi, une comédie musicale sur l'histoire de Paris, dont la musique
est écrite par Francis Lemarque. Au fil des rencontres, il fait parler
de lui. Notamment avec Le têtard, un 45 tours co-écrit par Jacques
Lanzmann (parolier fétiche de Dutronc). La première partie de la tournée de Marie-Paule Belle et de
Serge Lama (il remplace alors un certain Alain Souchon), puis la
même année, un premier album en 1977, imposent sa silhouette sombre. Mais Guidoni ne se sent
pas à l'aise dans son style musical. Il ne parvient pas à exprimer pleinement
ses maux et se sent prêt à décrocher.
Fassbinder
En 1978, dans un cabaret parisien, il tombe en admiration devant la chanteuse
Ingrid Caven, l'ex-femme du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder
(Querelle, Tous les autres s'appellent Ali, Le mariage de Maria Braun,
Lili Marleen,…) dont elle chante alors les textes, remarquablement
traduit en français par le cinéaste Pierre Philippe (qui écrira plus tard pour Juliette).
Le coup de foudre de Jean pour cet univers " noir et blanc " va
bouleverser sa carrière. Il demande à Philippe de lui écrire des
chansons. Ce dernier s'exécute avec trois titres qui sortent
complètement de l'ordinaire et que Guidoni enregistre malgré l'avis de
son entourage. Dès l'année suivante, il attaque les théâtres parisiens
avec ces textes.Cette fois, sa présence
sur scène est remarquée : il y apparaît tout de noir vêtu, souvent maquillé
de blanc. Il met en avant des chansons noires, angoissées, qui sont désormais
sa marque, sa signature. Presse, critiques, journalistes louent le chanteur.
Reconnaissance
Guidoni
enchaîne avec l'Européen fin 1980 puis une première partie à l'Olympia
quelques mois plus tard. A presque trente ans, il obtient en mars 1981,
le prix de l'Académie Charles Cros pour son album Je marche dans les
villes . Mais c'est sur scène que Jean Guidoni s'épanouit.
Il sait ne pas céder à la notoriété pour créer des spectacles hors norme,
comme Crime passionnel, son plus grand succès (il reprendra ce
spectacle en 2000 dans toute la France), dont la musique est écrite par Astor Piazzolla. S'il conquiert un public
de plus en plus fidèle, son univers sexuel ne plaît guère à tous les médias,
surtout quand il publie son album Putains en 1985, exclusivement
consacré à la prostitution. Il enchaîne les spectacles, de l'Olympia
au Bataclan,
puis à l'étranger. C'est à cette époque qu'il rencontre son compagnon
qui ne le quittera plus et lui apportera une certaine stabilité
affective.
Pause
La
fin des années 80 est une période difficile pour l'artiste. Sa carrière
connaît des périodes vides, puis il se laisse tenter par la drogue qui
n'arrange rien. Son travail acharné ainsi que l'entrain avec lequel il
se jette dans chaque album le contraignent à faire une pause en 1990.
Il est au bord de l'épuisement et fait un bref séjour dans une clinique
spécialisée. S'il reprend en 1991, c'est sous un angle plus serein. Il
donne beaucoup plus qu'avant, aux femmes, aux homosexuels, aux exclus
de la société. Il doit aussi cette nouvelle santé psychologique à son
ouvrage Quelques jours de trop, qui l'a sauvé de la dépression, et à la danse qu'il pratique passionnément plusieurs heures par jour.
Vertigo
Jean Guidoni multiplie les collaborations, comme
dans Les rendez-vous de Prévert et Kosma en 1992, avec Roland
Petit, ou bien sur son album Vertigo en 1995 avec Michel
Legrand. Cette amitié professionnelle avec le grand compositeur les pousse
à créer en 1996 Comment faire partie de l'orchestre ?, un
spectacle qui obtient une Victoire de la Musique la même année. Une compilation
de ses plus grands succès puis un spectacle Fin de siècle confirment, après presque vingt ans de carrière,
le grand talent de Guidoni. Malgré cela, comme de nombreux
"grands" de la chanson, il peine à trouver une maison
de production et à sortir son prochain album Trapèze
(Daniel Lavoie, Les Valentins, l'écrivain Jean Rouaud,
participent pourtant à son élaboration). Dure loi du show-business
pour une homme atypique et dont l'oeuvre reste fondamentale !
Guidoni a souvent envie d'arrêter sa carrière et de réaliser son
dernier album, mais les projets nouveaux le retiennent et lui redonnent
le goût de la scène et de l'écriture. Il travaille notamment sur
l'oeuvre de Leprest. Les albums s'espacent et le chanteur traverse discrètement les années 2000 et 2010. Son dernier album, Avec des si, sort en 2022.
Sachant se préserver de la facilité, Jean Guidoni innove sans
cesse, de spectacles en collaborations, tout en restant fidèle à son monde
noir, un monde unique dans la chanson française. Un univers
musical profond, que le chanteur utilise comme une thérapie.
SB 2003-2023
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