Rarement
reconversion ne fût aussi spectaculaire.
Yannick Noah, champion de tennis français, héros
national lors de sa victoire à Roland-Garros en 1983, est
aujourd’hui l’un des chanteurs français les plus populaires.
Des courts de tennis à la scène musicale française,
il y a un gouffre que l’artiste n’a pourtant pas hésité à franchir.
Retour sur un parcours atypique et risqué.
Yannick
Noah naît à Sedan, dans les Ardennes françaises
le 18 mai 1960. Il est déjà le fruit de deux cultures
très différentes. Son père Zacharie (1937-2017), est d’origine
camerounaise et footballeur professionnel à Sedan (avec
qui il remporte d’ailleurs une Coupe de France). Quant à Marie-Claire Perrier (1937-2012),
sa mère, elle est française et professeur. Ensemble,
les époux Noah ont trois enfants, Isabelle, Nathalie et
Yannick. Des enfants nés de la fusion de deux mondes très
colorés, à l’origine de l’univers bigarré du
tennisman-chanteur.
Alors
que Yannick a trois ans, la famille Noah quitte la France pour
Yaoundé au Cameroun. C’est là que l’enfant
grandit, entre ses deux passions : le sport et le reggae. En Afrique,
Bob Marley est un exemple pour tous les enfants, et leur donne
le courage de survivre, entre espoir et paix. Toute sa force, le
garçon l’emploie aussi à jouer au Tennis. Très
tôt remarqué par son entraîneur, il devient
un petit champion vers l’âge de dix ans. Encouragé par
le joueur américain Arthur Ashe, Yannick s’embarque
alors pour la France, à Nice, où il impressionne
par sa carrure et la qualité technique et physique de son
jeu. A seulement 17 ans, il remporte son premier grand tournoi
junior à Wimbledon. Dès 1978, il rentre dans la cour
des grands et affronte la fine fleur du tennis mondial (Connors,
Pecci, Vilas, Lendl,…). Un rêve devenu réalité pour
le gamin de Sedan.
Mais
la consécration survient en 1983, lorsque Noah remporte,
devant un pays en émoi, le tournoi de Roland-Garros,
face au suédois Wilander. Cela faisait 37 ans que
la France attendait cet événement et le joueur
est célébré comme un héros. A
23 ans, Yannick est le troisième joueur mondial et
s’attire la sympathie de tous les publics . Son jeu,
bien évidemment, est spectaculaire. Mais le personnage
l’est aussi. A la manière d’un Mc Enroe
ou d’un Connors, il sait créer le spectacle,
toujours drôle, aguicheur, voire déluré.
Un aspect artistique qui surprend moins avec le recul des
années.
Paradoxalement,
le début de la gloire sportive coïncide
avec son envie de changement. Mal préparé à cette
médiatisation démesurée, Noah perd un peu
les pédales. Il prolonge les après matches festifs,
sort beaucoup, boit, fume, se plaît à être là où on
ne l’attends pas. Après des années de tennis
de haut niveau, il tente une première reconversion dans
l’entraînement. Pari réussi puisqu’il
remportera la Fed Cup avec l’équipe de France féminine
en 1996. Mais surtout, il mène l’équipe masculine à la
Victoire en Coupe Davis dès 1991, exploit attendu depuis
1932 ! La même année, Yannick enregistre son premier
45 tours Saga Africa. Repris en chœur par des millions
de spectateurs lors de la finale de la Coupe Davis, la chanson
bénéficiera
d’un succès inattendu. Mais beaucoup considère
encore ce titre comme un coup de tête improbable, venu d’un
touche-à-tout somme toute volage. C’est mal connaître
Yannick, passionné en toute chose. Black and what ! confirme
en 1992 le virage amorcé par le sportif-chanteur avec Saga
Africa. Avec cet album très rock et une tournée
marathon, Noah prouve au public qu’il a plus d’une
corde « à sa
raquette ».
Côté cœur, ce père de famille affiche
aussi une énergie sans faille. Après trois divorces
d’avec Cécilia, Heather et Isabelle Camus, divorces aussi médiatiques
que ses exploits sportifs, Yannick renoue avec la sérénité auprès
de ses cinq enfants (Joachim, Yelena, Elyjah, Jenaye et Joalukas). Amoureux
de la vie en toutes circonstances, il utilise aussi sa notoriété pour
de nobles causes en créant Les enfants de la Terre, puis
Fête le mur, associations caritatives venant en aide aux
enfants défavorisés. Il n’est pas rare non
plus de le voir sur scène à côté des
Goldman, Bruel, Souchon ou Cabrel (Restos du Cœur, Concert
pour le Tibet,…) ou de l’applaudir pour des matches
exhibitions avec ses anciens compagnons de tennis (Leconte ou Forget).
En solo, il remplit aussi facilement l’Olympia que le Zénith.
Jamais vénal ni calculateur, Noah carbure aux sentiments
et à l’honnêteté. Le public l’a
bien compris et salue ses actions, humanitaires, sportives ou musicales.
Côté studio,
Noah aborde le nouveau millénaire avec sagesse. Sa
musique est devenue le reflet de son état d’esprit
: ouverte au monde, dansante, joyeuse, comme l’est
le reggae. Son album sobrement intitulé Yannick
Noah, enregistré en
France et au Cameroun et sorti en septembre 2000, cartonne
dans tous les hits-parades, mené par les tubes Simon
Papa Tara (hommage à son grand-père), La
voix des sages ou Les lionnes. Il faut dire
que de grands noms ont participé à son élaboration
(J. Kapler, le frère de JJGoldman,
Goldman lui-même, ou Gildas Arzel). Depuis, Yannick
Noah a relevé le difficile pari qu’il s’était
donné. Exit le sportif de haut niveau. Noah l’artiste
a parfaitement réussi sa reconversion.Pour
preuve encore ses derniers opus : Pokhara en
2003 (un immense succès) et le Live
2002 qui retranscrit l’ambiance de fête véhiculée
sur scène par le chanteur. Le succès de Charango en 2006 est phénoménal avec le tube Aux arbres citoyens. Après le nouveau succès de Frontières
en 2010, le chanteur connait une relative traversée du désert, avant de
revenir sur le devant de la scène en tant qu'entraîneur de tennis, puis
côté musical, avec l'album Couleur indigo (2019) et le tube Viens, écrit par les tarbais de Boulevard des airs.
Depuis, après le décès de son père en 2017, le joueur-chanteur part
vivre dans son pays et son village d'origine près de Yaoundé, où il
devient le patriarche. Sa médiatisation lui permet de faire venir
Emmanuel Macron dans son village, suscitant les passions. Après avoir
lutté contre le paludisme, il retrouve le chemin des studios et des
scènes avec la sortie de son dernier disque en date La Marfée en 2022.
A
plus de soixante ans, Yannick Noah le champion de tennis a depuis
longtemps cédé la place au chanteur. Cet homme généreux
et tolérant est aussi devenu le porte-parole d’une
jeunesse idéaliste, ouverte au monde et pleine d’espoir.
Il parvient brillamment à promouvoir, à travers sa
musique, ses actions humanitaires, et ses apparitions publiques,
un monde meilleur où l’enfance et la paix auront les
plus beaux rôles. A la manière d’un sage africain,
il mène campagne de façon détendue contre
toutes les injustices. Un personnage humble que l’on ne peut
qu’apprécier et admirer.
SB 2003-2023
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