Chantre
de la musique « juive pied-noir » jusqu’à l’excès,
Enrico Macias est un artiste unique dans le paysage musical francophone.
Souvent moqué ou parodié, l’enfant de Constantine
est pourtant devenu le porte-parole sympathique de tout un peuple déraciné,
celui de l’Afrique du Nord des années 60. Chanteur utopiste
de l’amour et de l’amitié entre les peuples, il est
resté fidèle à ses convictions pour effectuer un
retour remarqué en ce début de millénaire. Oranges
amères, son dernier album studio, est le pur fruit de l’univers
d’Enrico, et c’est ce monde-là qui nous séduit
en lui.
Né en Algérie, à Constantine, le 11
décembre 1938, Enrico Macias, de son vrai nom Gaston Ghrenassia,
et son frère Jean-Claude, grandissent dans la pure tradition musicale du malouf, chant traditionnel
andalou-arabe. Dès sa naissance, il porte en lui les thèmes
de ses futures chansons : le déchirement entre les cultures juive
et arabe ; la musique, à laquelle son père, violoniste au
sein de l’orchestre de Raymond Leyris (Cheikh Raymond), l’initie ; le soleil
et les enfants de l’Algérie... Dès son plus jeune
âge, Gaston-Enrico s’exerce à la guitare et finit par
intégrer lui aussi l’orchestre de Leyris. Cependant, les
besoins alimentaires le poussent à exercer momentanément
la profession d’instituteur. Tout en enseignant, Enrico continue
son apprentissage de la musique.
Mais
la guerre éclate. Dès 1961, le FLN tente d’obtenir
l’indépendance de l’Algérie. Pour des milliers
de jeunes soldats, c’est le début d’une guerre sans
nom. Pour tout un peuple, c’est le début de l’exil
vers la métropole. Enrico quitte son pays en 1962 avec son épouse
Suzy, fille de Raymond Leyris, sauvagement assassiné quelques mois
auparavant. A l’exil s’ajoutent la douleur de l’absence
et le sentiment de la fin d’une époque. Le jeune homme installé
à Paris court les cabarets avec sa guitare, essayant d’imposer
en France sa musique si particulière sans trop de succès.
Finalement, et assez rapidement, Enrico Macias va obtenir la gloire. Après
une première partie sur scène lors d’un concert de
Gilbert Bécaud,
et un passage évènement dans la célèbre émission
télévisée Cinq colonnes à la Une le 5 octobre
1962, le jeune pied-noir fait parler de lui. Son premier disque, Adieu
mon pays, sort la même année et porte déjà
la signature de toute son oeuvre.
1963-1964
est une période charnière dans la carrière du chanteur.
Outre la naissance de sa fille Jocya, (un fils Jean-Claude suivra quelques
temps après, en 1969), il prend définitivement le nom de scène
d’Enrico Macias et connaît un succès phénoménal
avec des tubes tels que Enfants de tous pays, Les filles de mon pays
ou La musique et moi. Commencent aussi d’interminables
tournées à travers le monde, faisant d’Enrico un artiste
incontournable dans toute la francophonie. Ses voyages lui permettent
d’exporter avec aisance sa philosophie fraternelle et son message
de paix entre les peuples. Sans jamais sombrer dans la politique, le chanteur
devient le porte-parole des grandes idéologies.
En août 1965, son frère Jean-Claude disparaît dans un accident de voiture dans laquelle se trouvaient Serge Lama
et sa compagne. Seul Lama en ressortira. Ce décès est une blessure
profonde pour Enrico qui donnera le prénom de Jean-Claude à son fils en
1969, en hommage à son frère disparu.
Etonnamment,
la musique de Macias semble universelle. De New-York à Tokyo,
en passant par Paris ou Moscou, ses concerts « méditerranéens
» déplacent des milliers de personnes et ses disques
se vendent par millions tout au long des années 60. Partagé
entre chanteur de charme et chanteur à message, Macias traverse
les années sans faillir. Bien au contraire, son personnage
jovial et chaleureux est convié à toutes les manifestations
de paix et de rassemblement entre les peuples, comme en cette année
1978 où il entame une tournée de Réconciliation
durant les accords égyptiens entre El sadate et Begin. De
même, l’ONU le choisit comme représentant de
la paix en 1980.
Boudé
dans les années 80 par la jeune génération Rock (Trust,
Téléphone,
Bijou, Indochine,....),
il faut attendre le retour en force de la musique arabisante dans les
années 90 (Faudel, Khaled, Cheb Mami, Rachid Taha) pour qu’Enrico Macias retrouve le chemin des hits-parades.
Sans jamais avoir cessé de chanter et d’enregistrer de nombreux
albums, il est célébré en même temps que le
sont en France les Khaled, Cheb Mami, ou autres Faudel. Malgré
les violences politiques et religieuses que subit l’Algérie,
Enrico ne désespère pas de chanter à nouveau dans
son pays, et un public nombreux attend aussi cet évènement.
Côté musique, après avoir subi un premier rajeunissement
en 2000 avec Enrico Experience, un album remixé façon
électronique par son fils, le chanteur constantinois revient en
force en 2003 avec Oranges amères, un album dans la tradition
arabo-andalouse. A la manière d’un Lama,
cet album sonne le retour d’un artiste sexagénaire que d’aucuns
croyait à tort oublié.
Dans un livre intitulé Mon Algérie,
paru en 2001, le chanteur raconte son attachement viscéral au pays qui
l'a vu naître. Les années 2000 sont aussi l'occasion pour lui de
s'essayer à la comédie, dans un téléfilm (Monsieur Molina) et au cinéma (La
vérité si je mens 2),
avec un succès non négligeable. Malheureusement il perd sa femme Suzy
en 2008, suite à une maladie. Loin de se laisser abattre, il continue
de plus belle à écrire et se produire sur scène, remplissant l'Olympia
dont il est un grand habitué, puis partant en tournée. Avec
l'aide de son fils, Enrico s'applique à perpétuer son oeuvre musicale
et artistique. Il raconte à nouveau ses passions dans un ouvrage L'envers du ciel bleu en 2015. Puis il publie son dernier album studio Les clefs en 2016.
C'est
à la fin des années 2010 que le chanteur révèle aux médias être ruiné,
suite à, d'une part, la faillite d'une banque islandaise dans laquelle
il avait emprunté et investi plusieurs dizaines de millions d'euros; et
d'autre part une eescroquerie dont il a été victime auprès de deux
prétendus médecins dans la création d'un centre de chirurge esthétique.
Malgré celà, Enrico reste optimiste et continue de se produire sur
scène, à plus de quatre-vingts ans.
Avec une vie bien remplie,
Enrico Macias continue, avec l’aide de son fils, de nous charmer
de sa musique orientale. A plus de 80 ans, cet éternel jeune homme
émeut, charme, enivre, et finit par séduire toutes les générations
d’auditeurs. Un exemple remarquable de longévité et
d’authenticité.
SB 2003-2023
|
|
BIO EXPRESS
Né Gaston
Ghrenassia à Constantine, Algérie, le 11 décembre 1938. Son père est
violoniste de malouf. Apprend la musique (guitare) et intègre
l'orchestre de Cheikh Raymond tout en exerçant la profession
d'instituteur. Quitte l'Algérie en 1962 pour la France. Mariage avec
Suzy en 1962. Premier disque en 1962. Naissance de sa fille Jocya en
1964. Rencontre de nombreux succès et joue dans le monde entier. Décès
de son frère en 1965. Naissance de son fils en 1969. Est choisi comme
représentant de la paix par l'ONU (1980). Creux de la vague dans les
années 80 et retour dans les années 90. S'essaye à la comédie (télé et
cinéma). Décès de Suzy en 2008. Est excroqué dans deux affaires qui le
ruinent. Continue de se produire sur scène et d'enregistrer des disques
avec l'aide de son fils.
|
Photo M. Lafit.
|
|