Marchant
seul sur le chemin de la chanson francophone, Bernard Lavilliers
sort les armes à chacune de ses chansons. Pour lui, assurément,
« l’art mineur » est un art de révolutionnaire,
et vaut les fusils d’assaut. Boucles d’oreilles, muscles
saillants et tatouages collent aux titres populaires et exotiques
du chanteur : des trottoirs de Pigalle à ceux de Manille,
en passant par la Révolution au Mexique ou les Favelas
du Brésil, Lavilliers est l’ardent défenseur
des minorités et des laissés pour compte. Une façon
sensible et altruiste d’utiliser son talent et sa notoriété,
quand d’autres se contentent trop souvent de scruter leur
propre nombril…
Saint Etienne, bassin ouvrier…
Né
le 7 octobre 1946 d’un père ouvrier militant syndicaliste et d’une mère
institutrice, Bernard Ouillon vit une enfance difficile. Temps difficiles
tout d’abord, que ces temps d’après guerre dans une
région minière où le ciel est bas et gris. Entre
l’usine et le bistrot, l’avenir de Bernard est tout tracé.
En plus de ce destin sombre, le jeune enfant doit lutter contre la maladie
qui l’affaiblit et le détruit (il est victime d’une
congestion pulmonaire à l'âge de sept ans). Il trouve plusieurs moyens de se mettre en marge,
d’exprimer sa révolte et sa rancœur. Le meilleur,
c’est celui des mots et de la musique, que sa mère institutrice
lui inculquera et qui feront de lui un poète rebelle, à
la manière d’un Ferré
qu’il admire tant. Le pire, c’est la violence, qui est le lot quotidien
d’un gamin de cité HLM, et qui le conduira quelques mois en maison de
redressement, et lui donnera le goût de la boxe, de la bagarre, et de
la lutte. Enfin assagi à presque vingt ans, il accepte un métier de
tourneur sur métaux. Mais la révolte est là, qui gronde au fond de lui
: c’est le premier exil. Brésil, Amazonie, Amérique Centrale… Il
devient chauffeur de camion mais se fait expulser pour sa trop grande
affinité avec les peuples indiens d'Amazonie. Retour en France.
Un éternel
voyageur
Dès
lors, la vie de Bernard ne sera que voyages, errances, recherches de
soi. Le voyage à la façon d’un Manset,
pour s’oublier, pour se chercher, pour chercher l’Homme.
Son altruisme naît du voyage. Il voit tellement de misère,
d’enfants sales et malheureux, de trafiquants en tout genre, de
pays où la pauvreté règne dans l’indifférence
générale. De retour en France, nourri par les rythmes
latins, il se lance dans les cabarets, mettant à profit son expérience
pour créer. Deux 45 tours paraissent ainsi en 1967. Commencent
quelques années de galère, une première
paternité (Anne-Laure naît en 1967), une
détention militaire suite à son insoumission, son mariage avec Evelyne
en 1970, qui rendent les conditions de vie difficiles. Dès 1971, sa
nouvelle maison de disques lui permet d’enregistrer régulièrement.
Lavilliers enchaînent alors disques et concerts. Sa musique fait parler
d’elle car elle est unique, un savant mélange de salsa et de poésie.
Elle a l’accent du blues, la musique des esclaves et des malheureux,
sous de faux-airs de gaieté. Le stéphanois commence à sortir la tête de
l'eau. Sa fille Virginie voit le jour en 1972, puis son fils Guillaume
en 1975 (tous deux enfants d'Evelyne).
La reconnaissance
Le public
s’intéresse à ce chanteur étrange qui chante
les favelas et les ghettos, et vient le voir de plus en plus nombreux
dans de plus en plus grandes salles. La recette Lavilliers est simple
: des rythmes latinos, des textes évocateurs et politiques, et
la rage de l’expression scénique pour illustrer le tout.
De chacun de ses voyages (toujours dans l’hémisphère
Sud), il rapporte de nouvelles sources d’inspiration et un nouvel
album. Son voyage au Brésil de 1979 lui inspire ses plus grands
succès : Stand the Ghetto et La Salsa. Lavilliers
est désormais un artiste très populaire, même s’il
ne voit pas forcément cette notoriété d’un
bon œil, lui qui prône la solidarité, la révolte
contre notre société mercantile et égoïste.
Ainsi tiraillé entre sa philosophie et le succès, le chanteur
vit des périodes sombres, que vient troubler sa vie sentimentale
mouvementée (il est père de quatre enfants, et essuie
de nombreux revers avec les femmes).
Autres
continents, mêmes préoccupations…
S’il cherche, dans les années 80, d’autres sources d’inspiration en
traversant le continent Africain, il n’en reste pas moins obsédé par
les mêmes préoccupations : l’égalité, le racisme, la misère, le
chômage, … Lorsqu’il ne voyage pas, Lavilliers nous fait voyager et
prendre conscience de notre époque, de notre condition de vie et de
notre pouvoir de changer les choses. Les années passent, et le chanteur
stéphanois ne perd en rien de sa rage et de son franc parler.
Toutefois, côté coeur, il se sépare de son épouse et mère de ses deux
enfants, puis se remarie en 1982 avec Lisa Lyon, bodybuldeuse, dont il
divorce un an après. Nouveau mariage en 1984 avec une danseuse Melle Li
(Jocelyne) avec laquelle il a un enfant Salomé en 1987, mais dont il
divorcera en 1989.
Quant à sa musique
, elle est plus que jamais militante, et il n’est pas rare de le voir
sur la scène de la Fête de l’Huma ou prenant part
à des concerts de soutiens. Le tube On the road again en 1988 propulse Lavilliers sur toutes les ondes. Ce titre devient peu à peu son hymne. En 1995, son duo avec Jimmy Cliff,
pape du reggae, rappelle que Lavilliers est aussi un grand seigneur
de la World Music, et un chanteur populaire : Melody Tempo Harmony
cartonne sur toutes les radios.
Un monument
de la chanson
Fidèle
à ses opinions, ne cédant jamais à la tentation
facile de l’argent et de la stabilité, Lavilliers aborde
le nouveau millénaire avec un nouvel album, son seizième.
Arrêt sur images
traitent encore et toujours, mais sans jamais se répéter, des thèmes du
chômage, de la pauvreté et de la violence. Comme si le chanteur engagé
cherchait à se débarrasser à jamais de ses souffrances, celles qu’il a
vécues dans son enfance, et celles, toujours présentes, de ses
compatriotes. Plus que jamais il est universel et ne tombe jamais dans
l'oubli. Le public le suit à chacune de ses publications ou dans ses
tournées. De toutes les luttes, on le voit en 2011 défendre la causes
des Indiens d'Amazonie, ou dénoncer le sort des migrants en 2016 dans
son album Croisières méditerranéennes.
Homme volontaire et rebelle, Bernard Lavilliers traversent les années
comme les frontières : sans que rien ne l’altère
ni ne l’arrête. Son but : lutter sans cesse, à sa
manière, contre les injustices. Sa voix chaude et sensuelle,
sa musique dansante et sa poésie sont déjà, après
un quart de siècle de carrière, et de nombreux succès
(Pigalle la Blanche, Stand the Ghetto, Idées noires, Noir
et Blanc, O Gringo,…), la récompense des gens honnêtes.
Il soulage les douleurs de l’âme, rend un peu plus regardable
un monde tant malmené.
SB 2002-2023
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