Catalogué,
dès ses débuts musicaux en 1969, comme chanteur libertaire, François
Béranger aura bien du mal à se débarrasser de cette étiquette. D'autant
plus qu'en dehors de deux ou trois « tubes », sa notoriété restera
toute relative. Pourtant c'est mal connaître le répertoire de ce
troubadour des temps modernes, oscillant sans cesse entre dérision,
révolte et tendresse. Un artiste disparu en octobre 2003 et que sa mort
a hissé, un peu trop tard, au rang de grands de la chanson française.
Issu
d'un milieu ouvrier, François Béranger voit le jour le 28 août 1937 à
Amilly dans le Loiret. Mais la famille Béranger vit tout près de
Paris ; à Suresnes. Toute son enfance est marquée par la dureté de la
vie prolétaire. Son père, André, résistant et ouvrier aux usines
Renault de Boulogne Billancourt, est un syndicaliste convaincu et
actif. Plus tard, il versera aussi dans la politique et sera élu député
de la Nièvre. Quoi de plus normal que son fils hérite de cette
idéologie de lutte de classe, et de révolte contre la misère sous
toutes ses formes, et dans tout pays. Une conviction universelle de
l'égalité que l'on retrouvera, plus tard, dans toute l'œuvre de
l'artiste. Son enfance se passe entourée de femmes (sa grand-mère est
très présente), et ni le maigre salaire de son père, ni celui de sa
mère Jeanne, couturière, ne permettent à la famille Béranger de vivre à
l'abri du besoin. Mais l'on chante beaucoup chez les Béranger, pour
accompagner le travail, pour passer le temps, pour bercer son enfant.
Des chansons qui donnent très tôt au petit François l'amour de la
chanson. De plus, l'éducation du jeune homme est très portée sur la
culture, et son père rêve en secret un tout autre avenir pour son fils.
Mais
ce dernier, étrangement, choisit à seize ans d'intégrer lui aussi
l'usine Renault. Pourtant, avant la fin de la guerre, les Béranger
avait quitté Paris pour vivre, à Nevers, une existence plus
confortable. Rapidement, François prend conscience de la sottise de la
vie d'usine. Il prend la poudre d'escampette et s'engage avec quelques
amis à La Roulotte, troupe de théâtre itinérante qui sévit dans les
endroits délaissés par la culture : prisons, maisons de retraite,
villages, banlieues,... sont les premières scènes du jeune comédien.
Une vie d'artiste très vite contrainte à l'abandon par la guerre
d'Algérie. A 22 ans, en 1959, François embarque pour un exil dans
l'horreur de dix-huit mois. Durant cette longue période, une seule
permission, que François choisit pour épouser Martine. A son retour,
marqué par la guerre, mais réconforté par la naissance de sa fille
Emmanuelle, il tente de retrouver une vie normale. Un retour éclair à
l'usine Renault, puis un poste à l'ORTF où il tâte du cinéma et de la
radio, la naissance de son fils Stéphane, puis mai 68, où ses
convictions ressurgissent au milieu des révoltes étudiantes. Le
libertaire reprend la plume et la guitare, et entre deux métiers,
enregistre quelques titres.
Par hasard, il atterrit chez CBS qui l'engage et lui fait enregistrer son premier succès Tranche de vie.
D'emblée, le ton est donné : anti-militariste, gouailleur et révolté,
le chanteur affiche la couleur, une couleur certes bien au diapason
avec l'époque. Dans ses chansons engagées, on découvre un mélange de
révolte et d'anarchie, de trémolos populaires et d'absurde. Un univers
proche des Bruant ou des futurs Renaud et Antoine.
Immédiatement censuré par le pouvoir, donc apprécié par la jeunesse,
Béranger obtient un certain succès. Viré de chez CBS pour
non-conformisme, il enregistrera durant les années 70 près d'une
dizaine d'albums, mais sans retrouver le succès de Tranche de vie . Seul Mamadou m'a dit
obtient le succès mérité en 1979, pour son propos acide et moqueur. Il
faut dire que « jeunesse passe » et que son public soixante-huitard a
mûri.
Pourtant,
lui, n'a pas changé. Il reste ce fils d'ouvrier, ouvrier lui-même,
comme si le destin était figé. Contestataire, révolté, libertaire, son
écriture ne cède jamais une once de terrain au pouvoir. La police,
l'Etat, l'industrie galopante, les racismes, les pollueurs de planète,
les guerres,... sont ses cibles privilégiées. Mais lorsque la gauche
arrive au pouvoir en 1981, François Béranger prend ses distances. Déçu
par la politique de François Mitterrand (« le vrai changement, c'est
quand ? ») , il s'accorde une traversée du désert de sept ans ! De
nombreuses autres passions occupent sa vie (notamment l'avion, comme
Brel). Ce n'est que de temps en temps que Béranger sort du bois, pour
enregistrer un album ou se produire sur une scène parisienne. Mais le
cœur n'y est plus, malgré le succès d'estime de son album de 1997, et
du double live en 1998. Fidèle à lui-même Béranger ne supporte plus
l'hypocrisie du monde et des politiques. Pour lui, rien ne peut plus
être sauvé. Son exil marque à jamais son dégoût de notre société.
Malgré
son éloignement des médias, il reste un artiste populaire et admiré.
Nombreux sont ceux de la jeune génération lui rendant hommage (comme
Sanseverino qui reprend Le tango de l'ennui ) . Certains de ses titres restent dans les mémoires ( Mamadou m'a dit, Le tango de l'ennui, Tranche de vie, Participe présent ,…)
comme l'œuvre d'un homme de cœur, révolté contre les injustices et
finalement lucide. Le cancer l'emporte à 66 ans, le 14 octobre 2003.
Les radios, un peu tard, lui rendent enfin un dernier hommage.
SB Novembre 2002-juin 2023
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BIO EXPRESS
Né François Marie
Béranger, le 28 août 1937à Amilly (Loiret), décédé le 14
octobre 2003 à Sauve (Gard). Enfance ouvrière qui marque le jeune
François. Intègre à 16 ans l'usine Renault où travaille son père. Il la
quitte pour La Roulotte, une vie itinérant ede comédien. Part pour
l'Algérie en 1959. Se marie et a une fille. Travaille à l'ORTF.
Naissance de son fils Stéphane. Mai 1968. Béranger enregistre ses
premiers disques. Premier succès avec Tranche de vie.
Traversée du désert dans les années 80. Malgré quelques
enregistrements, il reste en retrait de la société et de l'industrie du
disque. Décède en 2003 dans le Gard.
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