Serge Reggiani, L'italien de la chanson française.
Né à Reggio Emilia, Italie, le 2 mai 1922. Décédé à Paris, le 23 juillet 2004.

 

Découvert dans le rôle de Manda au cinéma, auprès de Simone Signoret dans le superbe film Casque d'Or de Jacques Becker en 1951, Serge Reggiani a par la suite entamé une carrière de chanteur sous l'impulsion de Barbara et de Jacques Canetti. Il réussit tant à mener de front le chant et la comédie, qu'on ne sait plus très bien si l'acteur devint chanteur ou le chanteur acteur. A la manière d'un Yves Montand avec lequel il partagea d'ailleurs l'affiche de Vincent François Paul et les autres, Reggiani a marqué aussi bien le cinéma que la chanson française, baladant de l'un à l'autre sa gueule marquée par la vie, ses souffrances, ses espoirs et ses révoltes.

Né dans le Nord de l'Italie, plus exactement à Reggio Emilia, près de Parme, le 2 mai 1922, Serge Reggiani est très rapidement attiré par la comédie. A neuf ans, son père, coiffeur, et sa mère, ouvrière, quittent l'Italie de Mussolini pour rejoindre la France, terre d'accueil pour tous les opprimés des années 30, espagnols ou italiens. Installé en Normandie, à Yvetot, puis à Paris avec sa famille, il découvre le théâtre, qui devient pour lui un moyen essentiel d'expression. Après des années d'efforts, durant lesquelles il fait la parfaite acquisition de la langue française, il décroche en 1937 le Premier prix de comédie au Conservatoire des arts cinématographiques de Paris. En 1941, il brûle les planches pour la première fois dans Le loup-garou de Vitrac. Puis il enchaîne les pièces les unes après les autres, jouant au chat et à la souris avec les forces occupantes, et devenant un comédien de talent, remarqué notamment dans les Enfants terribles de Cocteau ou dans Britannicus, auprès de Jean Marais.

Il apparaît également au cinéma dès 1938, dans Les disparus de Saint-Agil puis dans Le voyageur de la Toussaint en 1942. Peu à peu le cinéma prend le pas sur le théâtre, lui offrant même de grands rôles sous la direction des plus grands réalisateurs d'après-guerre : Marcel Carné (Les portes de la nuit en 1947), André Cayatte, Clouzot, ou encore Max Ophuls. Entre-temps, il est naturalisé français en 1948. Mais sa révélation au public a lieu en 1951, lorsqu ‘il interprète au côté de Simone Signoret, le rôle tragique de Manda dans Casque d'Or.

Avec Jean-Paul Belmondo

Le film est un chef-d'œuvre et le couple que Reggiani forme avec Signoret et un des plus mythiques du cinéma français. Dès lors, les propositions pleuvent. De Melville à Visconti, en passant par Robert Enrico, Henri Verneuil ou Costa-Gavras, tous veulent faire tourner « l'italien ». Le théâtre lui donne encore de grands frissons pendant plus de 400 représentations des Sequestrés d'Altona de Jean-Paul Sartre. Ce n'est que quelques dizaines de films plus tard, et avec une carrière de comédien déjà bien remplie, que Serge Reggiani arrive, par hasard, à la chanson.

Il faut dire que les chansons ont souvent besoin d'un comédien pour pleinement exister. Brel, Aznavour ou encore Montand l'ont parfaitement illustré. Jacques Canetti ne s'y trompe pas, qui voit en Reggiani le terreau superbe à l'interprétation des grandes chansons des années 60. Dès 1964, il lui fait chanter Boris Vian, ce qui vaut à l'acteur le Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Sous les encouragements de Barbara, le « jeune » chanteur de 43 ans s'essaie à la scène. Il accompagne la longue dame brune en première partie de son spectacle à la Mutualité, et c'est le déclic. Le public découvre un nouveau Reggiani, et son art unique d'interpréter ses premiers succès, empli d'émotion et de cette tragédie qu'il emprunte au théâtre. Ce revirement de carrière s'accompagne de chamboulements dans sa vie privée. Après avoir divorcé de Janine, sa première compagne, il se remarie avec Annie. En tout, il se sera marié trois fois, dont cette dernière union en 2003 avec la danseuse Noëlle Adam, épouses qui lui auront donné cinq enfants.

En 1967, son deuxième album, composé par Moustaki, Gainsbourg, ou encore Jean-Loup Dabadie, est un immense succès. Les tubes s'enchaînent : L'italien (sa chanson la plus autobiographique), Sarah , Les loups, Ma solitude, Le déserteur, Le barbier de Belleville, Le petit garçon, La java des bombes atomiques, autant de tubes que Reggiani interprète sur les plus grandes scènes parisiennes. La Mutualité, Le palais des Congrés, Bobino, et bien sûr le mythique Olympia. Il réussit la gageure de mener de front les carrières d'acteur et de chanteur. Avec sa discrétion, son immense talent et « sa gueule », le public l'admire sans retenue et accueille chacune de ses prestations avec impatience et respect. Mais la cruauté de la vie le rattrape, et l'homme à qui tout sourit sombre peu à peu dans la dépression et l'alcoolisme après le suicide de son fils Stéphan en 1980. Ce dernier, chanteur, comme le sera plus tard son fils Nicolas Reggiani, ne supportera pas la pression des médias, et la comparaison incessante avec son père. Sa mort est une douleur irréparable.

Pour s'en sortir, Serge trouve une bouée de secours dans la peinture, qu'il pratique passionnément dès les années 80. Il expose pour la première fois en 1991 et ses toiles suscitent un engouement certain. Avec plus d'une corde à son arc, il publie également un ouvrage, Dernier courrier avant la nuit en 1995, dans lequel il rend hommage à son fils et à de nombreux artistes. Après une relative traversée du désert durant laquelle il continue cependant d'enregistrer et de tourner, il fait un retour remarquable à l'aube du 21 ème siècle. Un coffret de huit CD retrace l'ensemble de sa carrière et le cinéma continue de lui procurer de grands rôles, jusqu'à son dernier tournage, dans Héroïnes en 1997. Après quelques ennuis de santé dus à son grand âge, il est contraint de faire ses adieux à la scène en 2003 au Palais des Congrés. Des adieux au goût amer de mort , pour celui qui clamait quelques années auparavant, qu'il ne s'arrêterait que lorsqu'il « casserait sa pipe ». Cette décision fait prendre conscience au public de la rareté de cet interprète et il lui décerne la même année une Victoire de la Musique pour l'ensemble de sa carrière.

Reggiani à la fin des années 90
Autre récompense suprême pour ce fils d'immigré : il reçoit des mains de Jacques Chirac, la cravate de l'Ordre National du Mérite. Son dernier enregistrement, Succès et confidences, fait suite à l'émouvant témoignage que lui adresse la profession en 2002 sur le double album Autour de Reggiani. Renaud, Bénabar, Sanseverino ou l'actrice devenue chanteuse Jeanne Balibar rendent un vibrant hommage à l'interprète de Sarah ou de L'italien.

Epuisé par l'âge et les années d'errance, Serge Reggiani s'éteint à son domicile parisien le 23 juillet 2004. Il laisse derrière lui un patrimoine culturel inégalable. Son immense talent a fait du petit Italien un des plus grands artistes du vingtième siècle. Comédien de renom, avec plus de quatre-vingt films à son actif, acteur de théâtre remarquable, peintre, chanteur, poète,… Reggiani a traversé les décennies comme un génie traverse les siècles. Avec grandeur et discrétion.

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© Petit dico de la chanson août 2004 SeB

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