Présentation.
La pochette d'un album est la première image que rencontre le public.
Avant même que les acheteurs n'écoutent le contenu du disque, l'artiste s'expose et
s'affiche dans les médias par l'image qu'il va, consciemment, associer
à son contenu. Dans cette rubrique, nous mettrons régulièrement en
avant des albums de la chanson francophone qui ont marqué leur temps
par la qualité esthétique ou visionnaire de leur pochette. Choix de la
simplicité ou de la provocation, photographie, dessin, oeuvre
artistique à part entière, postiche, parodie,... les moyens d'attraper
l'oeil du public avant de captiver son oreille sont nombreux.
Les Marquises de Brel (1977).
Un autre monde de Téléphone (1984) BIENTÔT
Premier album mis en valeur dans cette rubrique : l'incontournable Les Marquises de Brel, sorti en 1977.
La pochette
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Le dos de la pochette
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Page intérieure droite
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Contexte.
Les Marquises
est le dernier album sorti du vivant de Brel en 1977 (il décède en
1978). Depuis 1967, Brel avait cessé de se produire sur scène et se
consacrait au cinéma, aux albums studios, et aux voyages. Il vivait le
plus souvent aux Marquises, qu'il avait découvertes quelques années
plus tôt, et dans lesquelles il vivait une vie simple, entouré de sa
compagne Maddly et de son avion, qu'il utilisait pour rendre service à
la population polynésienne. Déjà malade (atteint d'un cancer), cet
album a été enregistré dans des conditions difficiles pour le chanteur
qui perdait peu à peu de ses capacités physiques. Le disque contient
des titres incontournables comme Jaurès, Les F..., Les Marquises, Voir un ami pleurer, Jojo, Orly, Vieillir,....
Des titres d'une puissance textuelle et musicale sans précédent, qui
marquent le sommet de l'art de Brel. Le disque a, dès sa sortie, connu
un immense succès.
Analyse.
De prime abord, ce qui attire l'oeil est l'apparente monochromie de la
pochette, d'un bleu sombre irrégulier. Puis les détails offerts par le
ciel nuageux se dévoilent. Un ciel que l'on pourrait voir tourmenté,
présageant un orage, ou apaisé, comme après la tempête, laissant à sa
gauche apparaître le soleil. Ce soleil lueur d'espoir. Après la tempête
vient le beau temps. On ne peut s'empêcher de faire le lien a
posteriori avec la fin de vie de l'artiste, malade et épuisé. Ce ciel
nuageux, chargé de menaces et d'espoir, c'est celui de Brel, du poète,
du bon vivant, traversant les intempéries dans l'espoir d'en sortir.
C'est aussi un ciel d'altitude (on n'aperçoit aucun signe de terre,
aucun horizon terrestre), un ciel qu'observait sans doute le chanteur
au guidon de son Beechcraft surnommé Jojo (en hommage à Georges
Pasquier, son ami décédé). Un ciel de liberté, dépourvu de société
humaine, où l epilote se retrouve seul face à l'immensité du ciel. Mais
quel ciel ? Celui, physique et scientifique, de l'atmosphère ? Celui,
plus mystique, de la religion ? On sait l'aversion que Brel chantait
vis-à-vis des croyances, des "bigotes" ou des curés. Pourtant, à
l'approche de la mort, l'homme ne cheche-t-il pas à régler ses comptes
avec le ciel ? A y chercher des réponses tant qu'une issue ? D'aucuns
pourrait donc voir dans cette photo une approche spirituelle du sens de
la vie.
La sobriété du texte peut appuyer cette analyse. Le titre réel (Les Marquises)
n'apparaît pas sur la pochette au profit du nom Brel (sans le prénom).
Le choix de la typologie n'est sans doute pas anodin. Ecrit en grosses
lettres transparentes, ce "BREL" est à la fois présent et simultanément
effacé dans le ciel. Comme fondu, disparaissant dans l'immensité de
l'éther.
Le verso prolonge ce ciel. En 1977, le CD n'existait pas et la pochette
du 33T se présentait dans toute sa splendeur. On peut ici ouvrir le
rabat et l'étaler à plat pour obtenir une image de grande taille et
d'un seul tenant, renforçant les impressions décrites ci-dessus.
Quant à l'intérieur de la pochette, il est également d'importance. Sur
la gauche, la liste des titres apparaît. Puis sur la droite, sur un
fond uni bleu-vert, un médaillon de Brel trône au milieu de la page.
L'image est une des dernières photos de Brel aux Marquises. On le voit
vieilli (alors qu'il n'a que 46 ans environ), la barbichette
grisonnante, et le regard lointain. Le doigt sur la bouche incite au
silence, à la complicité. Comme s'il fallait se taire avant de se dire
au revoir. "Chuuut, laissez-moi partir en silence" semble nous dire le
chanteur, épuisé par la maladie et le harcèlement des photographes
qu'il subissait lors des ses venues en France.
La forme de l'image est aussi marquante : le médaillon est celui que
l'on trouve sur les plaques mortuaires ou sur les colliers anciens,
contenant le portrait de l'être cher, souvent éloigné de nous par un
voyage, une guerre, ou la mort.
Conclusion.
Par sa beauté esthétique et la forte symbolique de ce ciel nuageux,
renforcée par le regard a posteriori sur l'année 1977 et la mort de
l'artiste l'année suivante, la pochette des Marquises reste une image forte de la culture musicale francophone.
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