Le Petit Dico : Bonjour Lulu Borgia
et merci d'avoir accepté l'invitation du Petit Dico. Pour nos lecteurs
qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous raconter en
quelques lignes ?
Lulu Borgia : Bonjour
Seb, en quelques lignes, oh la la … allez je vais essayer !!. La
musique tout d'abord, je suis tombée dedans quand j'étais petite, mon
jeu favori était de jouer à la chef d'orchestre avec mes poupées et
nounours. Vers 8 ans, j'ai voulu faire de la batterie, mais ce n'était
pas pour les filles, alors comme j'étais une enfant docile à cet âge
j'ai fait du violon, je ne le regrette pas aujourd'hui car ça m'a
permis de développer le sens mélodique. C'est aussi un instrument qu'on
doit apprivoiser, l'apprentissage est un long voyage comme la chanson.
A l'adolescence j'ai découvert le rock et le plaisir que l'énergie
pouvait procurer, j'ai joué dans différentes formations, c'est à cette
époque que j'ai rencontré Bruno et Marc Giglio, violoniste et batteur
qui jouent aujourd'hui dans le groupe, à cette époque j'étais la
bassiste. Mes origines Basques, le goût du chant m'a attirée
naturellement vers le micro, à partir de cet instant j'ai su que
c'était là qu'était ma place…ça se sent tout de suite, j''étais juste
au bon endroit. Dans mon cercle d'amis, il y avait un mec qui dessinait
et écrivait tout le temps, c'était Jean Pierre Joblin, on s'est vite
aperçu qu'on avait tout un univers en commun. L'aventure a démarré
comme une invitation à un bal masqué, on a cherché nos déguisements au
début, avec une chanson plus traditionnelle et des thèmes qui partaient
tout azimut. Je me suis aperçue très vite que je n'avais pas besoin de
me déguiser, j'avais envie de faire des chansons qui étaient en rapport
avec mon énergie et ma façon de voir la vie. Une envie de faire des
choses simples et là tu t'aperçois que c'est là que ça devient
compliqué… Par le hasard du net j'ai rencontré Etienne Gauthier avec
qui on a enregistré un premier album Live « Chair publique » . Juste
après on a souhaité orienter nos arrangements dans une énergie plus
rock, Jérôme Gauthier et Salim Benabdallah ont rejoint le groupe.
Depuis l'aventure artistique et humaine habite nos chansons rock.
Le Petit Dico : Que serait Lulu
Borgia sans la rencontre avec Jean-Pierre Joblin ? Et de la même façon,
que pensez-vous avoir apporté, par la musique, à cet illustrateur
d'ouvrages pour la jeunesse ?
Lulu Borgia
: Je dirais que cela nous a obligés tous les deux à nous remettre en
question et à ne jamais œuvrer dans la facilité. Les mots ont donné un
sens au ressenti et la musique a, je pense, bousculé les schémas
d'écriture de Jean-Pierre. Si nous continuons à travailler ensemble
encore aujourd'hui c'est que nous avons trouvé un équilibre, posé nos
poids d'émotions de chaque côté de la balance et avons évolué ensemble
et c'est bien.
Le Petit Dico : Parlons de Tohu Bohu :
ce qui frappe et envoûte à son écoute, c'est cette formidable énergie,
proche de celle de la scène. En l'enregistrant dans les conditions du
« live », ne souhaitiez-vous pas finalement donner une continuité
artistique à Chair Publique ? D'ailleurs, l'on retrouve La Chanson de Bascoulard ou Un temps médiéval, comme pour faire la transition entre les deux albums.
Lulu Borgia : C'est
tout à fait ça !! La scène et le disque sont des choses très
différentes. Le disque demande beaucoup de moyens si on veut qu'il
sonne comme on le souhaite, on passe du temps sur les arrangements et
souvent les détails prennent le pas sur l'essentiel. Personnellement,
je suis une fan des disques « live ». Les accidents d'interprétation,
le son plus direct de ces disques donnent une dimension humaine et non
formatée à l'artiste. Pour Tohu-Bohu, n'ayant pas eu les moyens
nécessaires pour faire un album studio et comme la scène était notre
terrain de jeu favori, on a voulu faire une photo instantanée de
l'année 2005. On a repris deux chansons du précédent album avec des
arrangements qui correspondent mieux à notre envie du moment.
L'enregistrement s'est fait très vite en trois jours, cela nous a
permis de rencontrer Didier Périer de DIP MUSIC, qui a fait les prises
de son et le mixage. Etienne Gauthier s'est chargé de faire la
post-prod, pour relier toutes les chansons entre elles. J'avais envie
de retrouver le voyage qu'on ressent en concert et d'y inviter le
public.
Le Petit Dico
: Votre univers musical et poétique ne cesse de faire d'étourdissants
voyages dans le temps (entre guitares électriques et violons, entre
XXIème siècle et Moyen Age). Lulu Borgia serait-elle la fille cachée de
François Villon et de Nina Hagen ?
Lulu Borgia : Deux artistes libres, c'est peut-être ça le point commun
Le Petit Dico
: Quel travail faites-vous ou avez-vous fait sur votre voix, que l'on
sent solide, forte et si fragile à la fois, prête parfois à basculer, à
chavirer, à s'effondrer volontairement dans l'émotion ?
Lulu Borgia
: Au départ, comme je le disais plus haut, j'ai mis des masques, je
théâtralisais trop ma voix, quand j'ai voulu me mettre en prise directe
avec moi même et le public, j'ai du virer tous les artifices. J'ai dû
trouver… ma voix. Forcement ensuite, la voix est le reflet et
l'instrument de ta sensibilité alors oui je suis quelqu'un fort et
sensible à la fois, mais tu sais, si tu regardes autour de toi beaucoup
de gens ont cette dualité !!
Le Petit Dico : Quel rapport entretiens-tu à la lecture et à l'écriture ? Quelles furent tes premières amours littéraires ?
Lulu Borgia
: Quand j'étais gosse, j'étais complètement accro à Jules Verne, il me
donnait l'envie de partir plus loin, toujours plus loin. Le rêve se
transformait en réalité, l'hypothèse en « ça s'peut ». Ensuite ado,
j'ai commencé à regarder le monde dans lequel je vivais et bizarrement
j'ai plongé dans Zola. Cela faisait écho en moi. L'amour de la
musicalité des mots m'est venue avec les poètes du 19 ième Baudelaire,
Rimbaud, Nerval et quelques chanteurs comme Férré, Barbara, Jim
Morisson…. Aujourd'hui ce qui me plait le plus ce sont les biographies,
j'adore les parcours humains. Je ne suis pas quelqu'un qui lit
beaucoup. Je ne sais pas si c'est de la fainéantise, mais je trouve
plus mon compte au cinéma, j'y vais le plus possible et je pourrai en
parler des heures !!
Le Petit Dico :
Quel rapport as-tu avec les autres artistes de la scène française
actuelle ? Partager la scène avec des groupes comme Khaban à
l'espace Jemmapes, c'est un coup de cœur, un service, une obligation,
un défi ?
Lulu Borgia
: Je dirais pas assez, la chanson reste à mon regret un monde trop
individualiste. Sur Paris, c'est compliqué, il n'y a pas vraiment de
réseau comme en province, les artistes viennent à Paris pour rencontrer
les médias, ça va vite on n'a pas le temps de se croiser. Heureusement,
quand on part en tournée, c'est plus facile. Bien sûr on dira aussi
qu'il y a des amitiés qui se tissent au bar, je n'y vais peut-être pas
assez !! Pour Khaban , c'est d'abord la rencontre avec Eric du groupe
« La Blanche » ils ont le même tourneur. D'ailleurs avec « La Blanche »
on va jouer dans une même soirée à l'Empreinte à Savigny (77) au mois de
mai. On appartient à une même famille qui mélange le rock et la
chanson. Ensuite les liens d'amitié se tisseront ou pas, on laissera
faire les cœurs !
Le Petit Dico
: On a longtemps balancé des artistes dans les bacs des disquaires,
sous prétexte qu'ils correspondaient à une ligne marketing. avant même
qu'ils n'aient fait la moindre scène. Depuis quelques années, on
assiste à un retournement de situation. Les Benabar, Cali, Camille, Oshen, Aldebert
, Grande Sophie, Anaïs, etc. etc, tout comme vous, sont avant tout des
purs produits de la scène. Finalement, on a l'impression de retrouver
avec bonheur une immense diversité de talents et de moins en moins de
produits « formatés ». Votre carrière aurait-elle pu être, à l'opposé,
celle d'une enfant de la Téléréalité ? La scène est-elle pour vous le
« berceau de la vie » (pour faire écho à Higelin) ?
Lulu Borgia
: Je pense vraiment que la création en France ne s'est jamais mieux
portée, il existe aujourd'hui une fusion des genres, les passerelles
entre différents styles musicaux se tissent. C'est vrai que tous les
genres ne sont pas toujours représentés dans les média, mais si le
public est actif, s'il fait un effort, s'il refuse de manger tout cru
ce qu'on lui impose et bien il trouvera son bonheur. C'est vrai que la
scène est le vrai révélateur d'un artiste. Quand le disque est bien
meilleur que le spectacle, on peut se poser des questions.
Le Petit Dico : Quelle image avez-vous aujourd'hui de ce que nous offre le Paysage Musical Français ?
Lulu Borgia
: Un paysage varié, qu'on aperçoit que si on ouvre la porte. Il existe
mais comme l'iceberg ne dévoile qu'une partie. En ce qui concerne la
chanson, ou comme on dit la nouvelle chanson que l'on entend sur les
ondes, je la souhaiterai moins nostalgique et aussi qu'elle prenne plus
de risque d'un point de vu musical. Mais je la trouve plutôt en bonne
santé !!
Le Petit Dico : Internet,
le peer-to-peer, la virtualité de la musique…. Ca vous agace ? Ca vous
gratouille ? Ca vous chatouille ? Ou c'est un formidable tremplin pour
ceux qui n'ont pas la chance de passer à la télé ou dans les radios
conventionnelles ?
Lulu Borgia : Je
suis absolument pour et comme tout progrès, y'a un revers bien sûr. Ce
qui m'intéresse c'est la rapidité de communication, c'est le rapport à
l'info immédiatement. Cela me fait penser à ce que j'imagine être le
début des radios libres. Evidemment comme tout le monde à droit à la
parole, il y a des débordements et tout ce qui est écrit n'est pas
forcement exact, mais je le redis tout le monde peut se faire entendre.
On dira aussi, trop d'infos, pas d'infos ! Je pense qu'il faut aiguiser
ses choix. Le P2P est tout d'abord un problème économique avant d'être
un problème artistique. Vu le prix des disques et la multitude des
disques qui sortent chaque mois, je ne suis pas étonnée que les jeunes
téléchargent, mais vraiment écoutent ils tout ce qu'ils téléchargent
bref ? Auraient-ils acheté le CD de tel artiste téléchargé ? On dira
ensuite c'est pas bien, c'est tuer les artistes. Il faut se poser la
bonne question : qui se fait de l'argent sur la vente des disques ? Sur
les passages radios, et les scènes les artistes touchent leur droit par
le biais de la Sacem ! Si l'on me promet de nombreux passages radios et
des tournées dignes de ce nom, je veux bien que l'album Tohu-Bohu soit
téléchargé. Moi je télécharge et quand ça me plait j'achète l'album,
c'est mon éthique. quand je n'aime pas j'efface. Et je peux te dire que
depuis j'ai acheté beaucoup plus de CD qu'avant et je découvre plus
d'artistes. On est en train d'assister à une mutation ; l'objet disque
va–t-il disparaître ? Je ne sais pas, je dirai seulement que le vinyl
existe toujours et tant qu'il y aura des artistes et du public dans les
salles, je suis prête à suivre toutes les mutations
techno-discographiques. Aujourd'hui la licence globale optionnelle me
séduit plutôt.
Le Petit Dico :
Quels sont les projets de Lulu Borgia pour 2006 ? Un agenda
« overbooké » ou quelques temps de repos mérité ?
Lulu Borgia : C'est
ça un agenda qui se rempli de jour en jour grâce aussi à Berna notre
manager qui fait un travail formidable. En fait tu sais ce qui est
fatigant c'est d'attendre, de ne pas faire de concert quand je suis
dans l'action je me repose et en plus j'ai un sommeil vraiment
réparateur….
Le Petit Dico : Quel regard portez-vous sur la société actuelle, malgré ces « temps médiévaux » ?
Lulu Borgia : Un
regard sur une société dont je fais partie et qui ne me ressemble pas.
Une société qui à la mémoire courte et qui se cherche des nouveaux
dieux et comme elle n'a pas d'imagination, elle reprend les anciens :
La religion, le profit et les violences. Heureusement et c'est ce qui
me permet de rester optimiste, il y a une humanité underground qui se
bat comme elle peut, elle est souvent associative, artistique et
passionnée.
Le Petit Dico : Si tu devais mourir demain, en quoi souhaiterais-tu te réincarner ?
Lulu Borgia : En quelqu'un qui pense le contraire de moi pour être une heure dans sa tête mais juste une heure…
Le Petit Dico
: Merci mille fois d'avoir voulu répondre à nos questions. Nous vous
donnons rendez-vous le 2 février et vous souhaitons bonne chance ("sans
poisse") pour la sortie de Tohu Bohu .
Lulu Borgia :
Merci à toi Seb de m'avoir invitée sur la toile à partager ce moment,
je t'invite quand tu veux à un concert ! A bientôt. LuLu .
SB 2006-2023
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