Plus qu'une Piaf, Fréhel représente l'âme de la chanson
réaliste de l'entre-deux-guerres. Parisienne jusqu'au bout des ongles, malgré
ses origines bretonnes, LA Fréhel a mené une vie de misère et a su
retranscrire, dans les trémolos de sa voix vieillissante, la souffrance d'une
femme abandonnée. Tantôt drôles, à la manière des comiques troupiers ; tantôt
poétiques et déchirants, les textes de ses chansons sont à l'image d'un Paris
populaire et miséreux tant prisé par le monde du cinéma. C'est justement au cinéma
que Fréhel exprimera l'étendue de son talent. Seule et détruite par l'alcool et
la drogue, elle finira ses jours dans un hôtel louche de la rue Pigalle, et
laisse à jamais le souvenir d'une femme fragile, d'une artiste en suspens entre
le gris et le blanc.
Paris fin de siècle
Marguerite Boulc'h naît à Paris le 14 juillet 1891, de
parents concierges d'origine bretonne. Enfant de la rue, elle fait ses premiers
pas dans les quartiers misérables de la capitale française. A cinq ans, elle
pousse la chansonnnette en accompagnant un vieil aveugle à la recherche de
quelques pièces. Plus tard, elle cherchera à échapper à la pauvreté en cumulant
les emplois. Adolescente, alors qu'elle vend au porte à porte des produits de
beauté, le culot la pousse à rencontrer la Belle Otero, reine du music-hall de
l'époque, dans sa loge où elle se prépare pour son tour de chant. Séduite par
le physique de la jeune fille et par son audace, la grande artiste lui propose
les services de l'éditeur Labbé et l'invite à se produire sous le nom de
Pervenche. Pendant deux ans, de 1908 à 1910, la petite Marguerite fera ses
armes dans le music-hall au café de l'Univers, en interprétant des titres de
Montéhus. D'une grande beauté, Pervenche est séduite par Robert Hollard, dit
Roberty, comédien et professeur de chant, qui devient rapidement son mari.
Ensemble, ils auront un enfant, mais ce dernier ne survivra pas. Tout comme
Piaf, qui vécut de façon similaire une vie miséreuse, la perte de cet enfant
scelle le début d'une descente aux Enfers.
Damia et Chevalier
Abandonnée par son mari, qui se jette dans les bras de la
grande Damia, celle que l'on surnomme désormais Fréhel (en hommage au Cap
Fréhel, de sa Bretagne d'origine), se console avec Maurice Chevalier. Mais
l'idylle ne dure pas, et la chanteuse subit à nouveau la rupture amoureuse.
Parrallèlement à une carrière somptueuse (elle est une grande vedette du
music-hall), sa vie privée est un véritable désastre. Lasse de cette vie de
misère, elle tente de mettre fin à ses jours, échoue, puis quitte l'Europe en
1911 pour les pays de l'Est. De la Turquie à l'URSS, elle errera pendant plus
de dix ans, se vautrant dans la drogue et l'alcool. C'est une Fréhel
méconnaissable qui regagne Paris en 1923. Méconnaissable mais " inoubliée
". Car elle obtient toujours le succès pour ses prestations scéniques
remarquables et remplit l'Olympia en 1924, se présentant donc comme "
l'inoubliable inoubliée ". Si elle a perdu de sa superbe (elle est
désormais un efemme forte aux traits vieillis), sa voix a gagné en émotion et en
puissance, une voix que Chevalier disait " rauque, comme venant du ventre
". Chacune de ses chansons soulève les tripes et le cœur, portant aux nues
le chagrin et les amours meurtries.
Cinéma
Son physique est unique et naturellement attire les regards.
Son accent " parigot " et sa " gueule " de mère maquerelle
font d'elle une vedette du cinéma. De Cœur des Lilas en 1931 à Pépé le Moko de
Duvivier avec Jean Gabin, en passant par L'homme traqué (1946), Le puritain
(1937) ou encore Le roman d'un tricheur de Guitry, Fréhel promène son allure
authentique avec simplicité. Mais rien ne lui rendra son bonheur et son
innocence perdus. Marquée par la vie et ses malheurs, Fréhel s'oublie dans les
paradis artificiels. Le 3 février 1951, elle meurt seule, dans la chambre d'un hôtel
de passe de la rue Pigalle, abandonnée de tous mais inoubliée.
Humaine et authentique, marquée à vif par les souffrances
d'une existence solitaire, Fréhel reste encore aujourd'hui une référence dans
la chanson française de l'entre-deux-guerres. Interprète inoubliable de La java
bleue ou de La der des der, de La coco ou encore d' Où sont tous mes amants ?,
elle influence des générations d'artistes (Mano Solo, Trenet, Higelin,Têtes
Raides,…) sans jamais tomber dans l'oubli. Quand une grande interprète sensible
et vraie, porte le masque de la tragédie…
Mai 2002-avril 2023
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Dans Pépé le Moko en 1936
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BIO EXPRESS
Née
Marguerite Boulc'h à Paris le 14 juillet 1891, décédée à Paris le 3
février
1951. Enfance pauvre et difficile. Débute au music-hall en 1908 sous le
nom de Pervenche. Tentative de suicide en 1911. Période d'errance
et de drogue. Retour à Paris en 1923. Tourne dans plusieurs films
durant les années 1930 et 1940. Elle meurt seule à Paris en 1951.
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Dans La maison du Maltais
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